Voici un précieux article que Christian Van MOER, l’un des responsables de CDL a publié au sein du Forum privé de Chloé Des Lys. Je me permets de le retranscrire ici en lui donnant toute ma gratitude et mes sincères remerciements.
__________________________________________________
PAR DES MOTS D’ ERRANCE, de Delphine BOUNEB, aux Éditions Chloé des Lys.
Après l’avoir feuilleté au stand Chloé des Lys du Marché de la Poésie à Namur, je n’ai pu résister à l’envie de lire entièrement ce recueil de poèmes de Delphine BOUNEB.
Et je peux vous affirmer que voilà encore une jeune poétesse pétrie de talent…
… … …
Delphine Bouneb nous offre avec ce recueil une vingtaine de textes émouvants réunis en trois bouquets :
– Plume d’errance,
– Plume de cœur,
– plume obscure.
Laissons-la présenter elle-même son œuvre :
« À la fois doux, sombre et coloré de rêves, Par des mots d’errance [se pose comme] une série de souvenirs d’un temps perdu, un tableau empli de noirceur qui se voulait voilé de blanc.»
Ce n’est pas la première fois que je rencontre cette nostalgie douce-amère chez nos jeunes auteurs qui, à vingt ans à peine, regrettent déjà l’enfance, ont déjà pris conscience de l’implacable compte à rebours qu’égrènent nos clepsydres et autres sabliers… Nouveau mal du siècle ?
… … …
Pour vous faire entrer sans frapper dans l’univers lyrique de Delphine, et vous mettre l’eau à la bouche, voici quelques titres de ses poèmes :
- -J’ai peint les mosaïques éclaboussées de sables
- – Créer des larmes de papier en touchant l’océan
- – Dans les palettes de couleurs, j’ai vu les larmes des pinceaux
- – Tous nos secrets s’effacent, lorsque tombe la pluie
- – Lorsque l’on tente les rimes, d’autres rêves s’effondrent
- – Je suis né pour mourir, les oiseaux sont témoins !
… … …
Outre l’enfance, ce temps qui nous a trop vite filé entre les doigts, d’autres thèmes poétiques étoffent ce petit recueil :
- – La peinture, le dessin et l’écriture : images qui magnifient les souvenirs, mais en même temps témoins qui refusent aux blessures la guérison totale par l’oubli ;
- – La pureté angélique : chimère ou leurre s’il en est ;
- – L’amour et la mort : sujets traités avec retenue, presque en filigrane, par respect pour des êtres chéris disparus sans doute ;
- – Les sables : le leitmotiv du recueil. Espace envoûtant qui peut tout autant réchauffer qu’effrayer ; pages mouvantes d’un grand livre secret où se perdent (vraiment ?) les traces et s’absorbe le sang des hommes.
… … …
La poésie de Delphine illustre avec bonheur le vers de Baudelaire : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.»
« Les nacrés de rosé se gorgeant de la brume,
Les galets décorés aux parfums des ébènes,
Floconneux abyssaux, noircissant les écumes,
Que les anges échoués abreuvent de leur peine !
Aux rythmiques guerrières d’angéliques galops…»
La forme poétique peut être qualifiée de semi-classique. Les textes sont disposés en quatrains, souvent ponctués par un refrain.
Si elle a le plus souvent recours à la rime, notre jeune poétesse n’en est toutefois pas esclave : l’assonance peut la remplacer avec bonheur.
De même le mètre peut être inégal ; mais souvent, lorsque instinctivement on a repéré les « e » muets à avaler et les synérèses, les rythmes classiques (de l’alexandrin la plupart du temps) s’imposent naturellement, disciplinent et harmonisent les sonorités pour nous charmer sur le tempo d’une mélodie envoûtante, lancinante même parfois, à cause des refrains.
Le chant est triste, mais le ton n’est pas larmoyant (même si larme est l’un des mots qui reviennent le plus souvent). Pas d’emphase non plus, même quand la déchirure devient cri.
Un flou qui trouble, çà et là : du noir voilé de blanc, du blanc voilé de noir…
Petit bémol : quelques virgules de trop, qui à mon sens nuisent au rythme.
… … …
Voici à présent quelques épis glanés dans ce champ jeune où les grains lèvent « au fil des douleurs et soupirs de la vie ».
« Les oiseaux se sont tus,
Désertant l’arc-en-ciel, en flocons de chimères.
Et en silence jaillit le cri…
Je m’évade aux frissons de nos temps retrouvés,
Une larme versée, des blessures assassines :
Puis j’écris des tempêtes d’horizons affamés,
Empoignant mon crayon amputé de sa mine.
Et en cadence jaillit le cri..
… des aquarelles du silence. »
« Et puis dans le silence, un écho qui surgit,
En souvenir d’enfance : « Mets un pas devant l’autre ! »
Je pleure ma solitude, les anges sont punis.
A ces lointains préludes, on m’a fermé les portes.
Je pleure mon chagrin, drapée de rouge soie…
…J’avance pas à pas et je crie : Liberté ! »
« J’ai peint les mosaïques éclaboussées de sables…
Des brûlures de combats ont noirci les pavés.
Et dans l’aveu glaçant d’un soupir de damné,
Traçant les parchemins où le silence des signes
Amenuise l’écrin d’indolences indignes.
Aux rythmes d’un combat où fleurissent les tombeaux… »
« Faire couler quelques larmes, au visage d’une mère,
Un départ au teint parme d’une vie d’innocence.
Arracher des étoiles pour trouver la lumière,
Puis emplir ses toiles de peinture et de chance. »
« J’ai muni tes deux mains, de pinceaux et de craies.
J’ai gommé les tracés que mes yeux ont formés.
J’ai caché ton chagrin, de coteaux et de baies,
Puis j’écris ton prénom en un souffle apaisé. »
« Écourtant les saisons, parcourant les avis,
De mon tracé d’ébène, une rime pour cri,
Espérant une larme épinée en retour,
Je fais fondre l’amour aux prunelles d’un jour. »
« Elle hurle dans le noir, brisant par ses « je t’aime »,
Les souffles d’innocence et les fleurs de bohème.
Dans un rythme effréné, il chante « flocon d’ébène »,
Puis s’effondre apaisé, aux larmes de ses peines :
Enfin dans le silence, et au rythme des pas,
Elle lui répond : « Enfance, je ne t’oublierai pas. »
« Dans les tableaux des souvenirs, j’ai vu les larmes des pinceaux…
…
J’ai colorié sur ton tombeau, le temps passé couvert de larmes. »
« Dans ce dédale de pierre et d’empreintes du temps,
Se déposent la prière, et l’écrin d’un enfant.
J’y dévoile les marquages enfoncés dans sa chair,
Traçant le sang des pages qui consument nos terres.
Je m’empare du lacet qui recouvre ce flot,
Le dénoue enivrée, par la danse des maux.
…
J’empoignerai mon épée pour me battre en duel,
Écorchant la pitié et la rage qui se mêlent.
…
Secrètes racines du temps, fruit de l’or en nos mains :
Les souvenirs de l’enfant sculptent la forme du destin. »
« L’homme est seul sur sa dune…
Je puise dans son regard, des jets de désespoir,
Hurlant au nulle part, des rêves et mémoires.
Et puis il se réveille au milieu de l’obscur,
Les mains ensanglantées couvertes de blessures. »
« Les jolis souvenirs, brûlaient au coin du feu,
Laissant pour grise cendre, de ces lettres pour ceux,
Qui souffrent si loin de toi, dans les sables mouvants,
Ayant perdu la foi, et celle qu’ils aimaient tant. »
« Et moi je me relève, les pieds trempés de boue,
Des canons plein la tête et des mères à genoux.
Des images cachées au fin fond de la peur,
Et des enfants violés quand la mort sonne l’heure.
Lorsque l’on tente les rimes, d’autres rêves s’effondrent… »
« Sur le bord du rivage, une clepsydre est posée… »
« Je suis né pour mourir, mais toi ne m’oublie pas… »
« Les poètes s’appellent, le mélange durcit.
…
Les deux mains enchaînées aux barreaux de la Terre,
L’homme enfin a prié les bourreaux de se taire.
Une tache de sang sur une page noircie… »
… … …
Bravo, Delphine ! Qui pourrait rester de marbre à la lecture de ces vers ?
Je terminerai en rappelant ton joli pseudo – Sahel – sous lequel tu nous as déjà offert quelques-uns de tes poèmes sur ce forum.
Christian VAN MOER